La chasse de Viktor (épisode 40)

De toute façon il lui fallait faire vite. Le battement du lien se faisait de minutes en minutes plus lancinant. Il espérait que Marcel se trouvait auprès de sa compagne pour la protéger et contenir ses ardeurs en l’attendant. Il savait être le seul dont elle avait besoin, le manque qu’il ressentait lui-même malgré son âge faisait monter en lui des bouffées d’angoisse. Comment une jeune vampire, mutante de surcroit, pourrait-elle lutter contre cela ?

Le claquement de talons sur la chaussée le ramena à l’instant présent. La vue d’une jeune femelle se dirigeant vers l’entrée d’un bar réveilla en lui l’envie de mordre. Il avait de la chance, sans doute était-elle une employée qui arrivait pour prendre son poste. Il espérait qu’à cette heure elle soit clean. De toutes les façons il n’avait pas le choix. L’impasse était déserte, il fondit sur sa proie, l’entraina vers une entrée d’immeuble désaffectée et obscure et plongea sans attendre ses crocs dans sa gorge. Il n’avait pas pris le temps d’hypnotiser sa victime et il sentait le corps se débattre sous lui. De ses lèvres ne sortait nul cri mais un flot de sang qui l’étouffait et coulait inutile le long de sa poitrine qui peu à peu se soulevait plus lentement. Il bafouait tous ses principes, la brutalisait, lui faisait mal, gaspillait ….Mais c’était si bon ! Le goût de l’adrénaline enrichissait le breuvage. Il retrouvait le plaisir du sang issu de la chasse, un nectar que rien ne pouvait égaler. Il frémissait de dégoût envers lui-même. Il n’était pas mieux que les autres mais resserra malgré lui son étreinte.

Il sentait que les muscles s’amollissaient, que les battements du cœur se raréfiaient mais il ne pouvait cesser de sucer, d’aspirer, d’avaler. Il n’en laissa pas une goutte et savoura son repas jusqu’à sentir sous sa langue le dernier sang et contre sa peau le dernier battement de ce cœur fatigué, il alla même jusqu’à lécher les traces autour de cette bouche ouverte sur un dernier cri muet. Dégoûté de lui-même, Il rejeta la dépouille loin de lui, reposant sa tête contre le mur crasseux.

Il s’obligea à garder le précieux liquide qu’un soudain haut le cœur menaçait de libérer. Il s’obligea à calmer sa respiration, à rester immobile. Il sentait la vie courir à nouveau dans ses veines et le besoin de rejoindre Philomène grondait en lui. Malgré tout il se détestait. La brièveté de la vie humaine l’avait toujours fasciné et il revendiquait de la part de sa race d’immortels une éthique. Mais où étaient aujourd’hui ses grands principes de sauvegarde des animaux ? Qui avait écrit les chartes qui accordaient aux humains le droit de vivre paisiblement et de mourir sans souffrance ? Lui ! Où étaient ses discours et ses envolées face aux jeunes rassemblés pour apprendre de ses lèvres les bonnes conduites face au gibier : Respecter sa proie, ne pas la déchiqueter, éviter les douleurs inutiles, l’hypnotiser toujours, la déposer  honorablement et la remercier du don de sa vie, enfin offrir une prière d’action de grâces aux dieux qui avaient peuplé le monde de ces créatures qui assouvissaient leur faim, tels étaient les dogmes sur lesquels il avait bâti sa vie…..A cet instant, seul dans cette ruelle puante, il n’en restait plus rien. Il se baissa vers le corps et, tout en murmurant les paroles ancestrales de remerciement aux dieux, le repoussa dans l’encoignure en positions assise. Il se passerait des heures avant qu’un passant ne se formalise de sa présence en ces lieux. Il aurait le temps de prévenir les nettoyeurs. Sa tâche accomplie, il se dématérialisa, son esprit uniquement empli de Philomène.